6é édition après 5 effacements !
Moi aussi ! Celui-ci ne peut être taxé d'anti américanisme primaire : l'Express ! Ni Historia non plus !
SANS APPEL !!!
Depuis l'inauguration du musée de l'Holocauste à Washington, 15 millions de visiteurs (dont un grand nombre de spécialistes de la Shoah) sont passés devant une machine truffée de circuits et de fils électriques, une trieuse de cartes perforées Hollerith D-11. Sur un panneau, une plaque d'identification rutilante porte ces trois lettres: IBM.
Un commentaire précise même que la firme d'Endicott a organisé le recensement de 1933, qui, pour la première fois, a permis d'identifier les juifs.
L'information était parfaitement exacte. Mais personne n'avait cherché à en savoir plus jusqu'à ce que, en 1997, Edwin Black mette sur pied une task force de plusieurs dizaines de personnes à travers le monde pour faire la lumière en un laps de temps très court, quelques mois à peine, sur la vérité des liens entre IBM et le IIIe Reich. Le résultat est stupéfiant.
En 1933, Watson a tout lieu de se réjouir de l'achat de la Dehomag, dont le chiffre d'affaires et les profits explosent. C'est que les nazis aiment les statistiques: « L'un des problèmes, dira Johannes Muller, le directeur de la Société allemande de statistiques, c'est celui de la politique raciale, et il a grand besoin d'un éclairage statistique. » La Dehomag peut donner cet « éclairage ». Grâce à ses machines Hollerith, elle va fournir aux hommes de Hitler un recensement clefs en main de la population prussienne. Alors qu'il aurait fallu entre trois et cinq ans pour cette opération, la Dehomag va y parvenir en quelques semaines. Elle engage 900 intérimaires qu'elle forme en quinze jours et, le 16 juin 1933, un demi-million d'enquêteurs commencent leur porte-à-porte. Le résultat sera porté sur des cartes de 60 colonnes qui seront perforées au rythme de 450 000 par jour. Pour les nazis, la colonne 22, case 3, présente un intérêt particulier: elle désigne les juifs.
Cette année-là, la Dehomag aura été l'une des plus efficaces des 70 filiales d'IBM, atteignant 273% du quota fixé par la maison mère. Watson décide donc de développer sa filiale allemande en multipliant ses investissements. Une implication, il le sait, qui n'est pas sans danger. D'abord, il court le risque d'être dénoncé comme partenaire commercial du IIIe Reich. Pourtant - et c'est un véritable miracle - IBM ne figure, à l'époque, sur aucune des listes établies par les juifs américains
Et la Dehomag prospère. L'Etat allemand est le deuxième client d'IBM après les Etats-Unis. Des millions de cartes sont perforées chaque mois dans la patrie de Goethe. Tout le monde veut des machines Hollerith, les fonctionnaires, les cheminots, les militaires, les chimistes, les fabricants de canons ou même les responsables des campagnes de stérilisation visant à « la prévention des naissances génétiquement indésirables ». « La statistique est très proche des idées nationales-socialistes », se réjouit alors l'éminent statisticien Zahn.
Le 28 juin 1937, à l'occasion de la réunion de la CCI, Watson rencontre Hitler en tête à tête à Berlin. Quelques heures plus tard, dans l'Opéra pavoisé de croix gammées, l'ambiance est si exaltée que les participants - y compris le gratin du patronat américain - se lèveront d'un bond à l'arrivée du Führer pour exécuter le salut nazi. « Watson leva le bras droit, lui aussi, avant de se reprendre à mi-course », écrit Black.
Le président de la Reichsbank, Hjalmar Schacht, remet à Watson la croix du mérite de l'Aigle allemand, ornée d'aigles et d'emblèmes nazis, spécialement créée pour lui. Le président d'IBM annonce à cette occasion que le prochain congrès de la CCI se tiendrait... au Japon. En mai 1938, au lendemain de l'Anschluss, il confirmera: « Les critiques injustes contre les affaires constituent une barrière commerciale [...], les critiques injustes contre un gouvernement en constituent une autre. »
Alors que l'Europe entre en guerre, tous les belligérants s'arrachent les Hollerith, les cartes perforées et les ingénieurs capables de les adapter aux tâches qui leur sont assignées. IBM a deux ans de retard sur son carnet de commandes. A chaque pays conquis, Pologne, Tchécoslovaquie, Belgique, Danemark, les Allemands commencent par enlever les appareils qui s'y trouvent. Ils serviront à alimenter en renseignements la machine de guerre allemande et à organiser le pillage des ressources: circulation des trains, missions de la Luftwaffe, repérage des travailleurs qualifiés pour le STO, inventaire du commerce international des pays occupés, disponibilités en matières premières, recensements équins en Pologne, ovins en Belgique, réserves de beurre au Danemark, etc.
Par l'intermédiaire de ses filiales installées partout en Europe (dont certaines portent le nom de Watson lui-même), IBM est maître du jeu. Y compris dans les camps de concentration: à Dachau, on compte une bonne vingtaine de trieuses, de tabulatrices et d'imprimantes fournies par la Dehomag. Dans le code Hollerith, Auschwitz porte le numéro 001, Buchenwald, 002, Dachau, 003. Sur les cartes perforées, les prisonniers sont rangés en 16 catégories: prisonnier politique, chercheur biblique, homosexuel, communiste espagnol, juif, asocial, multirécidiviste, tsigane, prisonnier destiné à une exécution discrète, etc.
A la fin du mois de mai 1940, Edgar J. Hoover, directeur du FBI, commence à s'intéresser aux relations allemandes d'IBM. Ses agents repèrent quelques sympathisants nazis parmi ses salariés américains. Ils seront licenciés sur-le- champ. Au même moment, le 6 juin, Thomas Watson renvoie à Hitler la médaille remise moins de trois ans plus tôt dans l'île du Paon. Avec ces mots: « La politique actuelle de votre gouvernement est contraire aux causes pour lesquelles j'ai oeuvré et qui m'ont valu cette décoration. » Dans la foulée, il multiplie les déclarations patriotiques. (Plus tard, il offrira aux « soldats d'IBM » mobilisés pour le front un minimum de 4 000 dollars d'indemnités.)
En Allemagne, c'est la levée de boucliers: « Les rats du profit quittent le navire, écrit le Völkischer Beobachter. On aurait pu penser que Thomas Watson aurait les idées plus larges que les rédacteurs en chef et les journalistes juifs aveuglés par la haine. » A la Dehomag, on déplore cette « démarche insensée ».
En août 1940, alors qu'IBM annonce un bénéfice mondial record de 6 millions de dollars au cours du premier semestre, Watson a encore la possibilité de se retirer du jeu. Il ne le fera pas.
Pour s'adjuger les bonnes grâces de Hitler et éviter la nationalisation de sa filiale, il laisse trois nazis influents entrer au conseil d'administration de la Dehomag.
Parallèlement, il renforce sa politique d'invisibilité en effaçant toute trace de lien entre la Dehomag et IBM New York.
Dorénavant, c'est IBM Genève qui gère les relations avec l'Allemagne et les pays occupés par les troupes de Hitler. Dans cette conjoncture, la valeur de la filiale d'IBM dépasse les 23 millions de Reichsmarks, soit dix fois plus que quelques mois plus tôt.
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